« Prends mon sac ». Voici ce que je demande à mon épouse, aujourd’hui même, alors que je ferme à clé la porte de mon domicile en sortant, et que j’ai besoin de mes deux mains pour cela.
Je ne lui dis pas « s’il te plaît » ou « veux-tu ? » ou toute autre formule de politesse. Cette situation anodine ne me paraît pas le justifier.
Elle trouve que je suis trop sec, que je ne lui parle pas comme il faut, et me le fait remarquer. Je me suis un peu étonné de cette observation de sa part sur le moment.
Parlons maintenant des grands modèles de langage qui sont qualifiés d'"Intelligence Artificielle" (IA).
Aujourd’hui, nous commençons à nous adresser à l’IA. Nous le faisons en langage naturel.
Nous ne lui parlons pas poliment. Il n’y a généralement aucun « s’il te plaît », aucun « veux-tu ? » dans notre façon d’interagir avec cet outil. Je n’ai pas besoin de parler poliment à un tournevis ou à une perceuse, pourquoi devrais-le faire avec une IA ?
Certes, sauf que nous ne parlons pas à nos outils tangibles. Nous ne leur écrivons pas davantage.
Pour autant, si les phrases que nous employons, à l’écrit aujourd’hui et bientôt à l’oral pour nous adresser aux IA, finissent par emplir notre temps de veille, cela ne risque-t-il pas d’influer sur notre comportement vis-à-vis des humains ?
Car dans les grandes lignes, notre langage ne se différencie plus désormais. Ce sont les mêmes mots que nous pouvons employer vis-à-vis d’humains ou de machines.
Faut-il pour autant mettre des formes quand nous parlons aux machines ?
Peut-être pas. Ce qui est certain, c’est que nous devons être attentifs à la différenciation. Dès maintenant, si l’on montre du mécontentement face à une IA, les algorithmes ont souvent tendance à utiliser des réponses qui imitent le comportement humain en de telles circonstances. Base de données de textes humains oblige !
Nous en sommes au début de nos interactions avec l’IA, et cette question de la politesse, aussi saugrenue qu’elle paraisse, n’est finalement pas anodine.
Sartre disait que « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », expliquant qu’il n’est rien d’autre que l’ensemble de ses actes. La pensée Sartrienne exclut par nature toute transcendance qui peut élargir notre humanité. Néanmoins, dans le cas précis de nos interactions avec les machines, peut-être devrions-nous intégrer cette dimension.
Si nous sommes ce que nous faisons, nos écrits et nos paroles, quels que soient nos interlocuteurs, êtres humains ou machines, doivent-ils en conséquence être respectueux de nous-mêmes ?
Ou bien devons-nous juste apprendre à rester vigilants à tout instant, et à bien distinguer le virtuel du réel ?