Tout part d’une découverte.
J’avais appris que, dans la commune de La Possession, sur l’île de La Réunion, un plan local d’urbanisme atypique avait réussi à résumer en une seule page1 l’ensemble des exigences énergie et carbone d’un nouvel éco-quartier.
Une seule page. La simplicité.
Cela me donnait une furieuse envie de comprendre comment tout cela avait pu se mettre en place.
C’est ainsi que, sur la base d’une réflexion purement écologique, j’en vins à ouvrir mes chakras, et à me rappeler que derrière l’énergie et le carbone, il y a aussi des humains.
Ou plus précisément que des contraintes environnementales peuvent contribuer à donner naissance à un quartier vivant, issu du travail d’humains, pour les humains.
Voici le récit de cette découverte.
Naissance d’un éco-quartier
« Je t’assure, ce n’est pas une politicienne comme les autres, c’est quelqu’un de sincèrement engagé sur les questions environnementales. Attends, je regarde si j’ai son zéro-six ».
C’est en ces termes qu’un ami vivant à La Réunion me décrit la Maire de La Possession, Vanessa Miranville, qui a pris ses fonctions en 2014.
Je ne tente pas d’utiliser son « zéro-six ». Je téléphone au standard de la Mairie, en expliquant mon projet d’article sur l’éco-quartier de la ZAC Cœur de Ville. Les choses se passent ensuite normalement, ce qui est presque anormal aujourd’hui où certains élus sont devenus inaccessibles.
La Maire de la ville me reçoit quelques jours plus tard, en compagnie de son premier adjoint et de son conseiller en charge du développement durable. Elle m’explique l’histoire de l’éco-quartier « Cœur de Ville ».
Lors de son premier mandat, parmi les premiers projets de la nouvelle municipalité, se trouve le réaménagement du cœur de ville, d’ailleurs initié par son prédécesseur.
Le défi sur cet aménagement est de construire en hauteur. L’espace est réduit sur le littoral réunionnais, et « on ne peut plus construire de cases à terre », alors que la démographie est encore très forte dans l’île.
Pour autant, le maintien du contact avec la nature est essentiel : le projet incorpore ainsi des jardins partagés, pour lesquels il est décidé de recourir à de l’eau brute et pas de l’eau potable.
La logique est aussi de réduire les déplacements (les bouchons sont une plaie à La Réunion). Pour que les habitants puissent vivre et travailler sur place, 35 commerces et 3000 m² de bureaux sont mis au programme. Des espaces culturels sont également prévus pour les tranches suivantes.
En termes de biodiversité, 70% des variétés de plantes sont indigènes ou endémiques.
Pour l’équipe municipale, ce quartier n’est pas seulement une œuvre technique, architecturale, énergétique et environnementale. « C’est avant tout un projet social et humain ».
Faire collaborer les acteurs en amont
Outre la Mairie de la Possession et la SEMADER, société d’économie mixte en charge de l’Aménagement, différents promoteurs privés sont impliqués dans le projet.
L’éco-quartier prévoit de la mixité, avec du logement social, du logement privé, des commerces…
L’organisation mise en place est très collaborative : le portage par la Mairie et l’aménageur sont très forts. Chaque permis déposé, est examiné par le bureau d’études associé au projet (LEU Réunion). Sans son avis conforme, les projets de bâtiments ne peuvent être validés par les services de l’urbanisme.
De nombreux ateliers de travail sont mis en place avec les équipes de maîtrise d’œuvre. Pour certains investisseurs, convaincre de la dimension écologique relève parfois de l’exploit diplomatique.
Surmontant les différents obstacles, le projet aboutit. Aujourd’hui, la ZAC Cœur de Ville existe.
Interagir avec les habitants
Dans ce projet, le but n’est pas de « produire du logement », il faut s’assurer que les ambitions initiales sont atteintes, et oser la culture du résultat.
Cette culture du résultat, à elle seule, est déjà une innovation.
Dans ce quartier qui vit pleinement, les habitants peuvent exprimer aussi bien leurs motifs de satisfaction que les points qui restent à améliorer.
Les réponses obtenues dans le cadre d’une enquête montrent que l’un des objectifs de départ semble bien atteint : le confort thermique est ainsi jugé satisfaisant, ainsi que l’omniprésence de la végétation.
En revanche, des nuisances sonores sont signalées, notamment la musique que l’on entend chez les voisins, ainsi que quelques phénomènes de vandalisme dans l’espace public.
Face à ces retours, le commentaire de la Mairie est riche d’enseignements : « nous avons été trop bisounours. Les règles n’ont pas été suffisamment claires dès le départ. Les sanctions doivent être fixées en amont. ».
Au-delà de l’énergie et du carbone, quelles bonnes pratiques pour l’aménagement urbain ?
J’ai demandé à Vanessa Miranville et son équipe ce qu’ils conseilleraient à d’autres communes qui seraient séduites par cette approche.
Leur réponse a été la suivante :
• Rencontrer d’autres élus qui ont déjà l’expérience de ce type de projet ;
• Engager une concertation la plus large possible, en tenant compte de la dimension sociale et environnementale, y compris en impliquant les équipes administratives qui seront en charge du projet. La biodiversité végétale, les oiseaux font partie des sujets à traiter ;
• Faire participer les citoyens via des réunions publiques, des ateliers. Les citoyens ont par exemple été impliqués dans les choix des noms des rues2. Les enfants eux-mêmes doivent participer. A La Possession, ils ont ainsi décoré le chemin menant à l’école ;
• Intégrer des tiers-lieux, des sites pour les associations ;
• S’appuyer sur des bons partenaires techniques3 , y compris dans le domaine de la sociologie ;
• Bien clarifier les rôles de chacun et à chaque étape ;
• Penser au bon phasage pour les réseaux d’eau, de voirie, les transports publics, les déchets4 ;
• Penser à une bonne couture du quartier avec les quartiers existants. L’éco-quartier ne doit pas être un îlot détaché du reste de son environnement.
Energie et carbone, l’alpha et l’oméga ?
Finalement, tous les sujets qui touchent à l’énergie et au carbone n’ont qu’une vraie finalité : celle de nous permettre en tant qu’humains de vivre le mieux et le plus longtemps possible sur cette planète, et plus précisément dans notre environnement proche, dans notre quartier.
L’énergie et le carbone ne sont pas des finalités.
La seule chose qui fait sens, c’est de maintenir des équilibres. Il y aura des succès, il y aura des échecs, il y aura des satisfaits, il y aura des insatisfaits. Le tout est que nous restions conscients de nos limites et ouverts aux autres.
Merci à la Mairie de La Possession pour ce partage.
Cet article est en deux volets. Pour accéder à la première partie, cliquez ici.
Ce texte a également été publié sur les deux médias suivants :
- Marcelle Média, sous le titre : À La Possession, l’écologie est l’affaire de tous #2
Remerciements
Je tiens à remercier pour cet article :
• Vanessa Miranville, Maire de La Possession
• Maxime Fromentin, 1er Adjoint à la Mairie de La Possession
• Armand Vienne, Conseiller en charge du Développement Durable à La Mairie de la Possession
• Audrey Meynier, Urbaniste, à l’époque responsable du projet au sein de Leu Réunion
Notes
1. Le premier article, centré sur les aspects énergie et carbone, constitue la première partie de cette publication en deux volets. Il est intitulé « Energie et carbone : réinventer la simplicité ? »
2. Seulement 2% des rues existantes font référence à des femmes !
3. A noter la qualité du laboratoire Piment de l’Université de La Réunion, qui a été impliqué dans l’opération.
4. Cela pourrait faire un peu « tarte à la crème ». Pourtant, on voit fréquemment des voiries neuves défoncées au marteau-piqueur pour effectuer une intervention sur un réseau qui aurait pu être évitée si elle avait été pensée en amont.